
Exposition du 6 juillet au 28 août 2016
Au début de nos échanges, Céline Vaché-Oliviéri, Charlie Jeffery, David de Tscharner et moi-même, une image s’est rapidement imposée, celle du virevoltant, communément appelé tumbleweed, cette plante nomade qui quitte sa racine une fois sèche pour se laisser porter par les vents, là où les terres sont les plus arides, particulièrement dans les déserts américains. Elle évoquait une idée de liberté, de mouvement, d’autonomie qui convenait parfaitement à la manière dont le projet progressait, empruntant des chemins de traverse plutôt que des lignes droites. Aucun de nous n’était pressé en effet de restreindre le champ des possibles, de se figer dans une position définitive. D’ailleurs la mobilité est une constante chez ces trois artistes ; leurs œuvres se fixent rarement dans des dispositifs accomplis mais rejouent au contraire leurs conditions d’apparition à l’occasion de chaque nouveau projet. Elles prennent la forme d’agencements, d’éléments montables et démontables à souhait, tels des jeux de construction dont le potentiel d’association est inépuisable. L’essentiel se passe donc sur place. Ils y ramassent, récupèrent une grande partie de leurs matériaux, qu’ils mêlent parfois à des pièces ou des fragments de pièces préexistantes.
Ils voyagent ainsi avec peu de choses. Cette légèreté revendiquée, peut paraître anodine, anecdotique ou encore simplement pragmatique, mais elle participe de cette tradition « des artistes aux œuvres portatives, eux-même portatifs, légers à l’image de leurs dérèglements et dont la mobilité, la curiosité sont comme deux reproches adressés au caractère insupportable parce qu’intransportable de certaines œuvres. » [1], selon les termes de Jean-Yves Jouannais citant Jacques Rigaut dans son essai Artistes sans œuvres. En cette période, où quelques interventions monumentales pimentent la scène parisienne, rivalisant de moyens spectaculaires et de prouesses techniques, Dévaler la montage, virevolter dans les herbes entend en constituer l’anti-thèse.
Il y a ainsi la question du dépaysement qui fait son apparition, celle d’un territoire nouveau que l’on appréhende sans préjugés, sans formes toutes faites et pré-définies. En l’occurrence Embrun et ses montagnes incarnant dans l’imaginaire collectif un formidable terrain de jeu mais aussi le refuge de forces mystérieuses et incontrôlables. Dévaler la montagne, virevolter dans les herbes, repose ainsi sur une forme d’humilité, de légèreté dans la reconnaissance de l’espace à investir. On prend le temps de le découvrir et de composer avec ce qu’il propose ; sans passage en force.
Au delà du territoire, le dépaysement, ici, se joue aussi au sein même de cette petite communauté à trois créée pour l’occasion. Céline, Charlie et David n’ont en effet jamais travaillé ensemble et pourtant ils abordent ce projet avec l’intention de réaliser une exposition véritablement collective, en échangeant les uns avec les autres, en imbriquant leurs réalisations et non en juxtaposant simplement des pièces autonomes. Chacun s’adapte à l’autre, accueille au sein de son dispositif des éléments extérieurs à lui-même et inversement, investit le dehors. De la même manière qu’en errant, le tumbleweed répand sa semence tout en accrochant des résidus dans le maillage de ses tiges. L’idée de perte s’accompagne ainsi de celle du gain. L’unité est d’ailleurs très relative dans le travail de Céline, Charlie et David, chaque pièce n’étant que le fragment d’un tout en perpétuel devenir. Dévaler la montagne, virevolter dans les herbes, par la liberté à laquelle elle aspire, ses mouvements doubles, ses vas-et-viens entre intérieur et extérieur, entre chute et envol, entend recréer les conditions joyeuses d’un système suspendu et autonome qui met en œuvre le pouvoir de l’invention et de la transformation des formes et des matières.
Solenn Morel
[1] Jean-Yves Jouannais,Artistes sans œuvres, I would prefer not to, Editions Hazan, 1997, p.32.